LA BOUTIQUE

STORYTELLING 1

Cette année, pour fêter notre anniversaire de fiançailles, avec mon amoureuse, nous sommes allées visiter une grotte préhistorique. En sortant j’ai voulu lui acheter une reproduction de la magnifique vulve gravée que nous y avions vu. A la boutique, tous les motifs de la grotte (de l’antilope au pingouin) figuraient sur des aimants, des t-shirts, des gommes ou des cartes postales. Tous, sauf la vulve. Alors je suis allée dans la boutique de flocage d’une copine pour la lui faire imprimer sur un mug.

Je me suis rendue compte que la boutique de musée avait une capacité de censure et de contrôle de nos méthodes d’appropriation des œuvres. Ici elle agissait même de manière très anachronique, en réactualisant l’impensé du sexe féminin dans l’art classique occidental aux dépends de l’héritage préhistorique qui nous avait pourtant fait tant de bien. Je me suis dit qu’on ne pouvait pas se laisser faire comme ça et qu’il fallait créer tous les produits dérivés qu’on ne trouverait jamais à la boutique du musée.

STORYTELLING 2

A la mort de ma grand-mère, mon père m’a offert les 6 tasses à l’effigie de l’Angélus de Millet qui trônaient dans son salon. Ce sont de vieux objets un peu écaillés, qui datent sans doute des années 1930. En cours d’histoire de l’art j’avais appris que l’Angélus avaient connu un écho phénoménal au milieu du 20e siècle au point que tous les foyers français en possédaient une reproduction sur des boites à gâteaux, des almanachs ou des fonds d’assiettes décoratives. En 1930 le nombre d’habitants des villes venait de dépasser celui des campagnes, et l’image centenaire de la paysannerie intemporelle rassurait.

Au début du 21e siècle, comme 80 % de la population française, ma grand-mère vivait en ville, à côté de Cherbourg, non loin du village où Millet était né en 1814. Lui-même avait fini par s’installer à Paris, et avait peint l’Angélus en Ile-de-France en 1857, en s’inspirant dit-il, de ses souvenirs d’enfance, lorsque qu’il regardait sa grand-mère travailler dans les champs. A son époque déjà, l’exode rural avait commencé et la nostalgie nourrissait sa méditation.

De la grand-mère de Millet au tableau, puis du tableau à la tasse de ma grand-mère, qu’est-ce qui se joue ? C’est quoi le devenir historique des produits dérivés ?

INTENTIONS

Pourquoi dans une boutique de musée on est capable d’acheter des objets parfois inutiles sous prétexte que la photo d’une peinture est imprimée dessus ? Parce que ces objets cumulent deux valeurs ajoutées : à la fois l’aura sacrée de l’œuvre d’art et l’intimité du souvenir de la visite. Comment investir nos objets du quotidien d’une charge émotionnelle et intellectuelle comparable, qui pourrait nous pousser à ne pas les jeter, à les réparer ou à les consommer avec davantage de conscience ?

Mais c’est quand même bizarre de faire des goodies à l’heure de la société de consommation et de la surproduction. C’est pour cela que ceux de la boutique sont produits artisanalement par moi-même dans mon salon, dans des quantités très limitées et principalement sur des objets existants et de seconde main. Car l’idée est de redonner de la valeur à des objets qui n’en n’ont plus ou qui n’en ont jamais eu, en interrogeant leur fonction, pratique et symbolique.

L’imprimante, les papiers spéciaux, les cartouches d’encre et la presse à chaud ne sont pas particulièrement écologiques mais sont destinés à être utilisés par un groupement d’artistes et créateurs afin de mutualiser les coûts et les impacts environnementaux. En guise de signature, tous les objets sont marqués d’un QR code qui renvoie à cette page, dont le graphisme rudimentaire consomme peu de data.

L’Origine du monde, Gustave Courbet, 1866

TOM

Un Tapis de souris Origine du Monde. Pour scroller, cliquer et double cliquer au jeu de la chatte et de la souris. Un objet un brin désuet qu’on peut utiliser comme dessous de plat si on a plus de souris.

ORIGINE FRANCE

Un magnet à découper en forme de carte des régions de France. La métaphore du corps de la femme est souvent employée pour qualifier La terre, et particulièrement quand il s’agit du territoire français. La Patrie, La Nation, La France est très féminine. L’historien Achille Mbembe en fait d’ailleurs l’analyse à propos de la perte de l’Alsace et de la Lorraine en 1870, vécue comme un « viol » par la population hexagonale, entrainant et justifiant un sursaut de virilité expansionniste à travers le déploiement colonial. La colonisation et son extrême violence pourraient ainsi se lire comme une décompensation post traumatique. L’agressé se sent alors légitimé dans sa mutation en agresseur sans borne. Aujourd’hui le fait de découper au cutter cette carte ne peut être un geste facile, tout comme la recomposition des régions administratives. Car les régions d’outre-mer, en marge du sexe originel, sont encore les conséquences bien vivantes de cette métaphore douteuse.

LE CARNET A DES SEINS.

Un carnet en liège aux pages vierges, prêt à se remplir de vos meilleurs croquis. Sans doute l’objet le plus délicat de la collection. Un jeu de mots facile mais qui nous aide à regarder autrement et prendre le temps de l’observation, tel un dessinateur au travail. Vous l’aviez déjà regardée dans les seins vous, l’Origine du Monde ?

T’AS TOUT

La cuisse of art. Un tatouage « G. Courbet » à faire sur la peau, au niveau de l’intérieur de la cuisse, sur le ventre, ou à peu près où l’on veut. Une manière de signer sa chatte comme une œuvre d’art et lui accorder de ce fait l’attention nécessaire. (ex : éclairage, restauration, prêts, horaires d’ouverture, entrée payante, réductions demandeurs d’emploi…)

Mon beau miroir. En prolongement ou comme une suggestion de présentation du tatoo : un petit miroir signé « G.Courbet » pour se regarder la chatte comme on regarde une œuvre d’art. Côté pratique, ce petit objet se tient dans la main et peut réellement aider lors d’une auto épilation, une auto-inspection médicale ou une masturbation avec stimulation scopique. Il est vendu avec ses petites accroches à coller pour une fixation murale.

FONDS DE POCHE.

De vieux mouchoirs en tissus du début du 20e siècle, comme des goodies délavés récupérés dans les fonds de poche de mamie. Bien qu’en réalité ce produit dérivé old school n’aurait jamais pu exister. Car si l’Origine du Monde date de 1866 et qu’elle est exceptionnelle en tant que rare représentation de sexe féminin en gros plan dans la peinture classique française, elle n’est apparue au grand public que très récemment, lors de son exposition au musée d’Orsay à la fin du 20e siècle. Avant cela, le grand public ne l’avait jamais vue. Je me suis demandée ce que cela aurait changé si ma grand-mère avait vu l’Origine du Monde dans sa jeunesse ? Et plus globalement : quel aurait été mon monde si mes grands-mères avaient eu connaissance de tous les recoins de leurs chattes, si elles n’en avaient pas eu honte et si elles m’en avaient transmis les rudiments anatomiques comme on apprend à faire un ourlet ?

Les Glaneuses, Jean-François Millet, 1857

FREE GLUTEN.

Des pots en verre customisés à l’effigie des Glaneuses, l’autre grand succès de Millet. On y voit trois femmes qui ramassent des épis de blé tombés au sol après le fauchage des paysans, au fond. C’était une pratique sociale répandue, où les femmes paysannes les plus pauvres étaient « autorisées » à venir récolter les restes, glaner les miettes. Loin d’un idéal bucolique, il s’agit d’une représentation de la misère et de l’extrême pauvreté. La composition et le coloris nous rendent l’image acceptable. Il n’y a pas particulièrement de commentaire, si ce n’est de nous dire que cela existe. Rendre le réel visible est une fonction importante de l’art, surtout lorsqu’il s’agit de mettre à jour des dominations. Mais comment utiliser cette image aujourd’hui alors qu’elle renvoie à une pratique du « glanage » agricole qui ne fait plus partie de notre quotidien ? Ce serait quoi les glaneuses aujourd’hui ? Peut être des mères de famille qui font la fin de marché pour ramasser les fruits et légumes, mais version gluten et super U, qui compteraient les pâtes avant de les mettre dans la casserole.

Olympia, Edouard Manet, 1863

EX VOTO ANARCHISTE.

Des cierges de dévotions Chauffe plat et des cierges Chandelles, tels qu’on les trouve dans les lieux de pèlerinage chrétiens, sur lesquels figurent des citations de Louise Michel accompagnées du chat noir de l’Olympia, qui deviendra dans ces mêmes années, un symbole de l’Anarchisme. J’ai toujours été fascinée par la synchronicité des évènements. Par exemple : en 1863, tandis qu’à Lourdes des centaines de croyants se ruent autour d’une bergère de 19 ans qui frôle le burn out depuis qu’elle a vu la Vierge apparaitre dans une grotte 5 ans plus tôt, à Paris, Manet fait scandale avec les deux femmes de son Olympia et Louise Michel, une institutrice de 33 ans, découvre l’anarchisme politique. Comment autant de choses ont pu se passer en même temps ? Peut-on les raconter simultanément ?

PROPAGANDE PAR LE STICK.

Une série de stickers composés de citations de Louise Michel en bâtonnets et de petits chats noirs de l’Olympia. Ils sont à coller contre une vitre, du côté de la face imprimée, à destination des passants. Comme les vignettes sur les pare brises ou les messages d’accueil dans une vitrine, il s’agit de s’adresser à l’autre, de lui envoyer un message.

La « propagande par le fait » est une forme d’activisme utilisée par les anarchistes français à la fin du XIXe siècle pour faire entendre la nécessité de la lutte au plus grand nombre. Au-delà des mots, les actions de dégradations diverses et leurs répressions immédiates permettaient une mise en lumière évidente d’un contexte oppressif. La démarche, souvent extrême, est nourrie de désespoir mais nous force à nous interroger sur la notion de « stratégie ». Quelle communication pour la lutte ? Et si le prosélytisme n’était pas réservé qu’aux catholiques et aux publicitaires ?